Les Marocaines et la sexualité

La plupart des marocaines sont  élevées dans l’ignorance de la chose sexuelle, avec en toile de fond le déni et la honte du sexe. Pour peu que l’on y ajoute la soumission de la femme à l’égard de l’homme, le poids de la religion et la carapace de la tradition et les voilà frustrées et culpabilisées à vie.

La sexualité est un sujet pour le moins banni du vocabulaire familial. C’est à peine si la mère informe sa fille du b.a. ba de la sexualité. Le système D.  prévaut.  Tout est “hchouma” (mélange de pudeur, honte et d’interdit social.) On ose à peine  aborder le sujet. On ferme les yeux pour ne pas voir…  “la bête”, les “parties honteuses” , le sexe de la femme, sa jouissance.  À peine si on reconnait à la femme une sexualité!

La tentation du sexe est cependant partout et nulle part. Omniprésente. Elle est à  peine voilée, comme une musique de fond ensorcelante. Son odeur est partout: dans l’air du temps, dans le langage au quotidien, sur les réseaux sociaux, dans les prêches moralisatrices, dans l’hypocrisie sociale, dans  le harcèlement physique et moral, dans  la drague que subissent les filles au quotidien,  dans  les blagues salaces qui circulent à tout va…

La sexualité de la femme est étouffée quand pour l’homme c’est une bouffée d’oxygène. L’immense différence d’éducation entre l’homme et la femme  est la face cachée de l’iceberg. Dans la religion, le sujet du “Al niqah” (la fornication) est longuement traité et dans ses moindres détails avec des règles bien établies, toutes à l’avantage des hommes. L’homme bénéficie de plus d’indulgence et de permissivité. Il a droit a tout, il le sait et il en profite. Il badine. Avec qui? Avec toutes les filles pourvu que ce ne soit pas avec sa promise ! Le libertinage de l’homme est tout à son honneur, tandis que pour la femme, c’est le déshonneur. Sensualité  pour le fils, chasteté pour la fille. Pour la jeune femme, la sexualité avant le mariage doit rester secrète, voire inexistante.  Après le mariage elle devient sacrée. Pourtant la sagesse populaire nous avait mis en garde en disant: “celui qui désire une nouvelle épouse, n’a qu’a faire jouer ce rôle par sa propre femme.” Dans l’un et l’autre cas, la relation homme/femme  n’est ni banalisée, ni normalisée, d’où la méfiance et les déviances.

Il est difficile pour une jeune femme  de se frayer son propre cheminement sexuel, car en plus des barrières religieuses et morales, se dressent les barrières sociales. La première et non des moindres, celle de la liberté d’action. Tout ce qui a trait à la sexualité relève du secret-défense et de l’interdit. Une femme prise en compagnie d’un  homme hors mariage est passible de prison (Zina.) Toute fille qui veut vivre sa sexualité est  marginalisée. Elle aime à la sauvette ou pire au sauve-qui-peut! Surveillée de part en part, elle est  pointée du doigt. Sans parler de la promiscuité dans les logements, du regard réprobateur de la famille et du qu’en dira-t-on de l’entourage, ce qui annihile les élans les plus naturels.

La seconde problématique est celle de la virginité. La “valeur sûre” pour l’homme en quête d’épouse. Question d’amour propre masculin, de propriété physique ou de propreté morale ? C’est simple ! On ne boit pas dans la coupe (ou la croupe)  qu’un autre a utilisé. Et quand une fille de bonne famille faillit à la règle, elle devient une fille facile. Gare à celle qui n’est pas vierge! Sinon il faut laver la honte en punissant la victime. Pourquoi  l’hymen doit-il servir de critère pour juger la femme ?

Pourquoi l’honneur de l’homme se cache-t-il entre les cuisses de la femme?

La pression sociale est trop forte. Il suffit de compter le nombre de filles divorcées à cause de la cérémonie du sarwal (la culotte) et de rire sous cape lorsque l’on devine le nombre incalculable de filles qui se refont pour 1200 dh une… virginité. Mieux encore, il y a celles qui simulent la virginité et celles qui contournent la virginité par mille artifices. À malin, malin et demi! Rien de plus aisé! Les “Bent darhoum” (de chez elles) comprenez : “vierges” sont impossibles à détecter. Aucune “bande-annonce-vierge” et il ne faut surtout pas se fier aux apparences.  Voilée ou pas… rien, absolument rien ne peut  certifier la virginité. La fierté des hommes en a pour son compte. Pourquoi cette mascarade dans les relations sexuelles ?

Comment les hommes peuvent-il être naïfs et stupides à ce point? Pourquoi la virginité morale et la sincérité des sentiments ne suffisent-elles pas?  Du reste, en vertu de quoi la chasteté serait-elle réservée à la femme seule?

Les filles ne sont pas dupes. Elles sont prudes pour celui qu’elles veulent épouser et putes pour celui avec qui elles veulent s’amuser. Elles savent que les garçons ne sont pas prêts à assumer loyalement leur sexualité.  Elles savent  que pour les hommes, il y a les filles à marier et celles à manier. Elles savent qu’il y a les filles avec qui ils prennent leur pied et celles à qui ils demandent leur main. Elles savent que les hommes cherchent une fille vierge pour leur nuit de noces mais  flirtent avec une fille expérimentée. Elles savent que l’épouse, “respectable” la  mère des enfants est sacralisée. C’est une maitresse de maison, (moulate dar) et non une maitresse tout court. L’époux choisit une femme pour la vie et prend une maitresse pour le lit. Malignes, elles jouent  double jeu et  elles  s’aventurent  sur le même terrain  miné.

Où est l’honnêteté sexuelle dans le tout sauf ça? Pour quel plaisirs et quels sacrifices? Jusqu’à quand cette hypocrisie sociale manifeste? Peut-on parler de sexualité épanouie quand la sexualité féminine est reniée, bafouée ou subie?  Comment vivre une sexualité saine lorsqu’on a été mitraillé depuis l’enfance par la “saleté du sexe”?  Trop de non dits, trop de mensonges et de contradictions.  Des apparences à sauver coûte que coûte, la peur du scandale, le manque de liberté, le lourd tribut des traditions et  comme résultat final, un fiasco sexuel total.

Heureusement qu’il y a des filles qui se fichent de leur virginité et qui affichent leur sexualité. Celles qui “s’éclatent” et croquent la vie à pleine dents comme les garçons… Un corps est un corps et le désir est le même.  Émancipées, elles parlent ouvertement de leur sexualité et elles dénoncent la « tricherie » des « fausses vierges.» Elles opposent aux saintes-ni-touche leurs arguments de femmes libres et libérées, mais à quel prix !

Ces jeunes femmes  ont du mal à extérioriser leur sexualité parce qu’elles sont confrontées à l’étroitesse d’esprit des hommes. Encore trop immatures reconnaissent-elles. Leur souci? Trouver un garçon sympa et ne pas se faire épingler par un membre de leur famille ou par les autorités… Leur souci? Trouver une aire de liberté, même avec un air d’interdit. Leur souci? Fonder une famille avec un homme qui les comprenne et les  accepte telle qu’elles sont.

La libération sexuelle ne va pas sans excès et sans dérives,  d’autant que l’interdit crée des situations inextricables et des perversions incontournables. Prostitution, viols, abus, inceste, pédophilie…

De part son éducation socio-culturelle, la marocaine ressemble à un coquelicot qui pousse bon gré mal gré dans un champ de blé. Sauvage, gentil, froissé, épanoui, écorché, rouge vif comme l’amour ou la  honte, le coquelicot? Tout dépend. Aussi diversifié que le climat, aussi sec que la terre qui le porte, aussi mystérieux que les paysages marocains.

Tel est le paradoxe que vivent les femmes marocaines. Une misère sexuelle dans un désert d’incompréhension.

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Comments

  1. anne-marie says

    Merci Salwa pour ce beau texte ! J’ai beaucoup de compassion pour la vie des femmes marocaines (et des pays musulmans d’ailleurs car je pense que c’est assez semblable ailleurs ).
    Il y a même eu une involution depuis une trentaine d’années. Ce serait aux mères élever leur fils différemment !

    • Un petit bémol, pas mal de femmes se débrouillent bien en essayant de mener une vie “normale”. hélas la loi n’est du côté des femmes. Il y a les mentalités à changer;..Vu comme c’est parti, il faut se battre encore et encore car comme partout, rien n’est définitivement acquis. Merci encore pour votre intervention Anne-Marie!

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